Quand la croisière s’amuse (trop?)

Quand un voyage d’entreprise tourne à la tempête juridique, c’est la Cour de cassation qui doit remettre tout le monde à flot.

En l’espèce, la salariée d'une entreprise de télécommunications, lauréate d'un concours interne à l'entreprise, se voit récompensée avec ses collègues par une croisière tous frais payés en Floride. Durant ce séjour, elle est surprise en train de fumer la chicha dans sa cabine, en compagnie d’une autre salariée enceinte, après avoir volontairement bouché le détecteur incendie. Le commandant de bord, alerté, décide de la débarquer avant la fin du voyage. L’employeur, contraint de financer son rapatriement, choisit de la licencier pour faute, estimant que son comportement constituait une violation des règles de sécurité, un manquement à ses obligations contractuelles, et un trouble à l’image de l’entreprise.

La salariée conteste son licenciement en justice.

Deux thèses se sont opposées en justice : d’une part, la salariée qui faisait valoir que les faits sont survenus dans le cadre de sa vie personnelle, ce qui empêcherait l’employeur d’invoquer une faute disciplinaire.

De l’autre côté, l’employeur prétendait qu'un fait même intervenu dans le cadre de la vie personnelle, pouvait justifier un licenciement disciplinaire s'il se rattache à la vie professionnelle du salarié.

Quelle est la position des juges ?

 

PAS DE FAUTE SANS VIOLATION D’UNE OBLIGATION PROFESSIONNELLE

Dans l’arrêt rendu le 22 janvier 2025, la Cour de cassation rappelle qu’en principe il y a une séparation stricte entre la vie personnelle et la vie professionnelle du salarié.

L’employeur ne peut reprocher « une faute » qu’aurait commise le salarié dans sa vie personnelle, en dehors du temps et lieu de travail.

Ainsi, la salariée qui était en congés en croisière, même en présence de collègues dans le cadre d’un séjour payé par l’employeur, n’était ni sur le lieu de travail, ni dans un temps de travail. 

Elle ne pouvait donc être sanctionnée… SAUF si la salariée, précise la Cour de cassation, avait commis un manquement à une obligation de son contrat de travail. Il ne suffit donc pas que des faits se rattachent à la vie professionnelle mais qu’ils constituent en eux-mêmes un manquement à un règle du contrat de travail.

Or, dans le cas de la salariée croisiériste, aucune violation du contrat de travail ne pouvait être reprochée à la salariée qui avait certes, manqué aux règles applicables à la croisière, ce que le commandant de bord a sanctionné d’un débarquement, mais il ne s’agissait pas des règles d’obligations du contrat de travail qui auraient été applicables en dehors du lieu et du temps de travail (par exemple, l’obligation de loyauté ou l’obligation de non-concurrence lorsqu’elle est inscrite dans le contrat de travail).

 

HYPOTHÈSE DU TROUBLE OBJECTIF CAUSÉ PAR UN FAIT DE LA VIE PERSONNELLE

Très peu de fautes disciplinaires semblent donc pouvoir légalement être reprochées au salarié sur la base de faits de sa vie personnelle.

En revanche, la Cour de cassation nous dit qu’un fait relevant la vie personnelle du salarié pourrait justifier un licenciement, non pas pour faute, mais au motif que ce fait cause un trouble objectif caractérisé dans l'entreprise.

Il s’agit principalement de faits avec une connotation pénale, qui objectivement perturbent le bon fonctionnement de l’entreprise, s’agissant par exemple du salarié condamné pour le viol de la fille mineure de l'un de ses collègues (Cass. soc., 26 sept. 2012, n°11-11.247) ou du salarié frappant sa concubine alors qu'ils sont tous les deux salariés de l'entreprise (Cass. soc., 1er avr. 1992, n°89-43.391).

Cette hypothèse du trouble objectif a été écartée dans de la cas de la salariée ayant fumé le narguilé, même en présence d’une collègue enceinte, parce que l’employeur avait licencié la salariée pour « faute », et non en raison de trouble supposé par son comportement

Il appartient donc, au moment du licenciement, à l’employeur de choisir précisément le motif de licenciement, sachant que le reproche tiré d’un trouble objectif causé à l’entreprise obligera l’employeur à payer le préavis et l’indemnité de licenciement au salarié licencié.

Si la croisière s’amuse… le droit du travail veille !

Précédent
Précédent

Pluralisme syndical : pas de communication à deux vitesses dans l’entreprise

Suivant
Suivant

Harceler moralement un salarié porte atteinte à l’intérêt collectif de toute la profession