Harceler moralement un salarié porte atteinte à l’intérêt collectif de toute la profession (juillet 2024)
Le harcèlement moral d’un salarié conduit trop souvent à son isolement. En ce sens, le rôle des représentants syndicaux et des élus du personnel est aussi de rompre cet isolement et d’agir lorsqu’ils sont informés de faits pouvant s’apparenter à du harcèlement moral (mais aussi sexuel) et notamment lorsque ces faits, nullement justifiés, portent atteinte aux droits de leur(s) collègue(s), à leur santé physique et mentale ou aux libertés individuelles. C’est le sens du droit d’alerte dont dispose chaque élu du CSE, aux termes de l’article L. 2312-59 du code du travail, ce qui va notamment obliger l’employeur à mener une enquête conjointe avec l’élu et à prendre les mesures nécessaires pour remédier à la situation.
S’agissant des syndicats représentatifs dans l’entreprise, l’article L. 1154-2 du code du travail leur ouvre de longue date la possibilité d’agir devant le Conseil de prud’hommes « en substitution » d’un salarié victime de harcèlement, si le salarié en est d’accord.
Puis, dans un arrêt récent du 10 juillet 2024 (n°22-22.803), la Cour de cassation a ouvert l’étendue de l’action syndicale en permettant aux syndicats d’agir aux syndicats en justice, même sans l’accord explicite du salarié, dans l’intérêt collectif de la profession (pour l’instant sous conditions).
Les faits de l’espèce et la procédure
Le litige a débuté en 2011, lorsqu’un salarié a saisi le conseil de prud’hommes, se disant victime de harcèlement moral. Pendant la procédure, ce salarié a été nommé représentant syndical par la CFTC, ce qui a aggravé le harcèlement moral dont était victime le salarié. Le syndicat a alors décidé d’intervenir dans la procédure prud’homale pour soutenir ce salarié en estimant que cette situation ne touchait pas seulement le salarié individuellement, mais portait aussi atteinte à l’ensemble des salariés de l’entreprise et à leurs droits de représentation. C’est pourquoi il a demandé à la justice de reconnaître cette atteinte à « l’intérêt collectif de la profession ».
Si les demandes du salarié et de son syndicat avaient initialement été rejetées, la Cour d’appel de Paris, après 11 ans de procédure, a finalement reconnu le harcèlement moral du salarié et a accepté la demande du syndicat. L’employeur a alors contesté cette décision devant la Cour de cassation, en soutenant qu’un cas de harcèlement moral ne concernait que la personne touchée et non le collectif des salariés.
La décision de la Cour de cassation
La Cour de cassation, dans son jugement du 10 juillet 2024, a rejeté les arguments de l’employeur. Elle a confirmé que le syndicat pouvait agir dans l’intérêt collectif des salariés lorsque le harcèlement moral est en lien avec l’exercice de fonctions syndicales ou représentatives. Cela signifie que, lorsque le harcèlement moral touche un salarié à cause de son mandat syndical, cela porte atteinte non seulement à l’individu, mais aussi à l’ensemble des salariés que la victime du harcèlement moral ne peut plus défendre convenablement compte-tenu des agissements nocifs de l’employeur.
Si cette décision concernait uniquement le cas du salariés harcelé et détenteur d’un mandat, on peut néanmoins légitimement penser que l’action du syndicat pourrait également être recevable dès lors que les faits de harcèlement ne concernent pas uniquement un seul et unique salarié mais concernent potentiellement la communauté de travail, et notamment lorsque le harcèlement est constitué par des méthodes de gestion nocives ou que l’employeur est totalement défaillant dans son obligation générale de prévenir les actes de harcèlement dans l’entreprise. Cette décision renforce donc les droits des syndicats mais également la protection des salariés victimes de harcèlement moral qui ne doivent pas rester seules dans une situation dangereuse.