La période d’essai d’un CDI doit-elle tenir compte de la durée des CDD précédemment conclus ? (juin 2024)
Il n’est pas rare aujourd’hui que des entreprises recrutent de nouveaux salariés en leur imposant d’abord un CDD avant d’éventuellement de leur proposer un CDI. Même si cette pratique est juridiquement illicite, beaucoup d’entreprises utilisent le CDD comme une sorte de période d’essai pour les nouveaux recrutés. La question qui peut alors se poser, au terme du ou des CDD, est de savoir si l’employeur qui veut proposer un CDI peut-il inclure une (véritable) période d’essai dans ce nouveau contrat comme le Code du travail semble l’y autoriser ? Et dans l’affirmative, est-ce la durée des CDD doit-elle être déduite de la période d’essai prévue dans le nouveau CDI ? C’est la question à laquelle a répondu la Cour de cassation dans un arrêt du 19 juin 2024 (n° 23-10.783).
Les faits de l’espèce
L’affaire concernait une infirmière ayant travaillé pour un établissement médical sous trois CDD : (1) du 18 au 31 mai, (2) du 1er au 30 juin et (3) du 1er au 30 août 2017. Le 4 septembre 2017, elle signe un CDI avec une période d’essai de deux mois. Cependant, deux semaines plus tard, l’employeur décide de rompre le contrat de travail durant la période d’essai, c’est-à-dire au moment le moins protecteur pour la salariée puisque l’employeur n’avait pas à respecter les règles du code du travail afférentes notamment au licenciement.
La salariée décide donc de saisir la justice et de contester la rupture du contrat en faisant valoir qu’au moment où cette rupture a été infligée, la période d’essai n’était pas valable (« inopposable ») en raison du recours précédent à des CDD pour des fonctions identiques.
La solution judiciaire
La cour d’appel d’Aix-en-Provence rejette ses demandes en jugeant notamment que l’employeur pouvait imposer une période d’essai à la salariée dans le nouveau CDI et que les 3 CDD précédents ne pouvaient être pris en compte dans la mesure où il y avait eu une interruption de travail d’un mois en juillet, entre le 2ème et le 3ème CDD.
Cette décision a été censurée par la Cour de cassation. Les Hauts magistrats ont jugé qu’il y avait une continuité de la relation de travail, entre les différents CDD et le CDI, peu important l’existence d’une période de suspension puisque les différents contrats concernaient les mêmes fonctions. Dès lors, si l’employeur pouvait prévoir une période d’essai dans le CDI, il devait néanmoins réduire la période d’essai de la durée de tous les CDD successifs précédents.
Ainsi, en décomptant la durée de l’ensemble des CDD précédents sur la période d’essai du CDI, la rupture prématurée infligée au salarié devenait illicite, lui octroyant le droit à des dommages et intérêts.
Quel impact pour les salariés ?
Par cet arrêt, la Cour de cassation renforce la protection des salariés contre l’abus de périodes d’essai et contre d’éventuelles stratégies patronales qui viseraient à espacer artificiellement différents contrats pour prétendre qu’ils ne seraient pas liés (et ainsi imposer des périodes d’essai répétitives).
En pratique, cela signifie que toute période de travail sous CDD doit être prise en compte pour réduire la durée d’une éventuelle période d’essai dans le CDI qui suit (si les fonctions sont identiques). Les salariés enchaînant des CDD chez un même employeur devront donc obtenir plus rapidement une stabilité contractuelle avec toutes les protections liées à un CDI.
Ce n’est que dans le cas où les contrats concernent des fonctions réellement différentes que la période d’essai du nouveau CDI pourrait pleinement être appliquée (Soc. 23 mars 2011, n° 09-69.349).
Cette solution est logique et conforme au but tant de la période d’essai que du CDD. La période d’essai vise à permettre tant au salarié qu’à l’employeur de vérifier une adéquation entre les attentes et la réalité de l’emploi. Si l’employeur utilise frauduleusement des CDD pour remplacer une période d’essai, alors la durée des CDD réduire d’autant l’éventuelle période d’essai du CDI conclu ultérieurement.