Du robot-outil au robot-manager, quand l’IA prend le pouvoir
L'intégration de l'Intelligence Artificielle transforme profondément le monde du travail, soulevant des questions juridiques cruciales pour les salariés. De la surveillance des performances à la protection de l'emploi, l'IA redéfinit les contours de la relation professionnelle.
Cet article propose répond à quelques questions sur les principaux enjeux du droit du travail face à l'IA. À travers des questions-réponses ciblées, nous évoquons les obligations de l'employeur, les droits du salarié et le rôle des instances représentatives.
1. L'IA peut-elle être utilisée pour surveiller mes faits et gestes sous prétexte de calcul de la productivité ?
Potentiellement oui, et c'est un risque majeur. Le "management algorithmique" est une réalité : l'IA peut théoriquement analyser les faits et gestes des salariés, souvent sous prétexte de calculer la productivité, pour peu qu’elle ait accès à des données et notamment l’ordinateur de travail, la messagerie professionnelle, les documents rédigés ou même les caméras de surveillance. En l’état de la jurisprudence actuelle, ces analyses pourraient même être utilisées à des fins de licenciement. Cependant, l'employeur n'a, en principe, pas le droit de mettre en place une surveillance disproportionnée ou clandestine. Tout dispositif de contrôle par l'IA doit être justifié, proportionné au but recherché, et chaque salarié doit être informé individuellement de la mise en place de tels outils. Si l'IA devient un outil de "flicage" permanent, elle peut porter atteinte aux libertés individuelles. En principe, une charte, intégrée au règlement intérieur, doit encadrer précisément l'usage de l'IA
2. Si l'IA change ma façon de travailler, ai-je droit à une formation ?
Oui, c'est une obligation de l'employeur. L'employeur a l'obligation légale de veiller au maintien des compétences et de l’employabilité. Si l'introduction d'une IA modifie vos tâches ou requiert de nouvelles compétences, il ne peut pas simplement laisser un salarié en difficulté. Il doit former les équipes à ces nouveaux outils.
3. L'IA risque-t-elle de dégrader mes conditions de travail (stress, surcharge, rythme) ?
Oui, et cela doit être anticipé. L'interaction avec des machines, l'accélération des cadences dictée par un algorithme ou la perte de sens au travail sont des facteurs de Risques Psychosociaux (RPS) connus que l’employeur doit mesurer. L'employeur a une obligation tout faire pour garantir la sécurité et protéger la santé, tant physique que mentale, des salariés. Les risques liés à l'IA doivent ainsi, en principe, figurer dans le Document Unique d'Évaluation des Risques Professionnels (DUERP), et des mesures de prévention (droit à la déconnexion, pauses) doivent être mises en place.
4. Puis-je refuser d'utiliser une IA si je la juge inefficace ?
En principe non, mais avec des nuances. Le contrat de travail implique un lien de subordination : si l'employeur décide d'utiliser un outil (et que cet outil est légal), le salarié doit s'y conformer. Un refus peut être sanctionné.
Cependant, si l'IA transforme radicalement les conditions de travail (emploi occupé, rémunération, durée du travail), cela peut constituer une modification du contrat de travail qui nécessite la signature d’un avenant au contrat de travail, que le salarié est en droit de refuser. De plus, le salarié peut être bien fondé à refuser d’utiliser un outil IA qui conduirait à commettre des actes illégaux (non-respect RGPD, violation de l’intimité, discrimination, etc.) ou qui mettrait gravement en danger sa santé.
5. Mon poste peut-il être menacé de suppression au profit d'une IA ?
C'est un risque réel, mais encadré. L'IA peut être considérée comme une "mutation technologique" et si la mutation est telle qu’elle aboutit à la suppression du poste du salarié, alors un licenciement économique pourrait être justifié (on pense, par exemple, à des salariés affectés à des tâches répétitives et basiques). L’IA pourrait également menacer la compétitivité de certaines entreprises et justifier une restructuration, mais il faudra vérifier que cette menace est réelle et sérieuse.
De plus, l'employeur a une obligation de reclassement : avant de licencier un salarié, il devra tout tenter pour l'adapter ou le repositionner sur un autre poste, notamment via la formation.
6. Qui peut me défendre face à l'arrivée brutale d'une IA dans mon service ?
En premier lieu, les représentants du personnel (élus CSE et syndicats). En effet, l'employeur ne peut normalement pas introduire une technologie modifiant les conditions de travail en "catimini". Il doit consulter le Comité Social et Économique (CSE) au préalable. Les élus peuvent demander une expertise pour analyser les impacts de l'IA sur les conditions de travail, sur la santé et l'emploi des salariés concernés. Si cette consultation n'a pas eu lieu, le déploiement de l'outil pourrait être suspendu par un juge (délit d'entrave).
7. Suis-je responsable si l'IA commet une erreur dans mon travail ?
C'est une zone grise qui n’a pas été tranchée et dont les réponses peuvent varier en fonction de l’utilisation qui est faite. Si le salarié utilise l'outil conformément aux directives, la responsabilité incombe généralement à l'employeur. Cependant, le salarié qui utilise l'IA peut avoir la responsabilité de vérifier les réponses fournies par le robot. On sait, en effet, qu’encore aujourd’hui la plupart des IA assument fournir des réponses parfois erronées (« hallucinations »). Il est d’ailleurs fort à parier que les Directions d’entreprises préféreront blâmer un salarié plutôt qu’un outil informatique. Néanmoins, il appartient au préalable à l’entreprise de préciser le cadre d’utilisation de l’IA avec des procédures claires et ce n’est qu’un manquement à ces règles qui pourraient, à notre sens, justifier une sanction proportionnée à la faute.