Droit d’accès aux emails professionnels après licenciement : fin des mauvaises pratiques ?
Il n’est pas rare qu’un salarié convoqué à un entretien préalable au licenciement se retrouve, du jour au lendemain, privé d’accès à sa messagerie professionnelle. Résultat : impossible de consulter ses anciens emails, et donc de retrouver des éléments utiles pour se défendre.
Cette pratique, utilisée par certains employeurs, vise à compliquer, voire empêcher, toute contestation du licenciement. Comment prouver, par exemple, que l’on avait bien prévenu de son absence par email, si l’accès à sa messagerie est coupé ? Comment démontrer que les critiques adressées à son supérieur relevaient d’un signalement de harcèlement moral, si les courriels en question sont inaccessibles ? Et comment réclamer des heures supplémentaires sans pouvoir consulter son agenda électronique ou l’historique de ses courriels envoyés et reçus ?
Que pouvait également faire un salarié qui souhaitait réclamer, après le licenciement, le paiement des heures supplémentaires réalisées, si l’entreprise lui avait coupé l’accès à son agenda électronique et à l’historique des premiers et derniers courriels envoyés chaque jour de travail ?
Si ces stratégies d’entreprises ont pu perdurer ces dernières années, l’état récent de la jurisprudence pourrait y mettre un frein certain.
En effet, en s’appuyant sur le Règlement général sur la Protection des Données (RGPD), la Cour de cassation condamne les employeurs qui refusent de transmettre à d’anciens salariés les courriels émis ou reçus par eux.
LES FAITS
En l’espèce, le directeur associé d'une société avait été convoqué à un entretien préalable, avec mise à pied à titre conservatoire, avant d'être licencié pour faute au motif d’être l’auteur d’un harcèlement sexuel.
Le salarié contestait les faits en faisant valoir que les accusations n’étaient confirmées par aucun témoin, des extraits d’entretiens avaient été tronqués, certains noms masqués, et l’enquête interne n’était que partiellement communiquée : seuls cinq comptes rendus d’entretien sur quatorze étaient produits..
Pour se défendre, il demandait également la communication de l’intégralité de son dossier personnel.
L’employeur s’était contenté de lui transmettre des documents sans réel lien avec le litige : bulletins de paie, documents de fin de contrat, mutuelle, prévoyance, RIB, place de parking, etc.
Le salarié contestait ce refus partiel et demandait la communication complète de ses courriels, s’appuyant sur le RGPD, qui garantit l’accès aux données personnelles.
LA DECISION : L’EMPLOYEUR DOIT COMMUNIQUER LES COURRIELS SAUF A ENCOURIR UNE CONDAMNATION FINANCIERE
Dans son arrêt du 18 juin 2025 (n°23-19.022), la Cour de cassation confirme que les courriels émis ou reçus par le salarié grâce à sa messagerie électronique professionnelle sont des données à caractère personnel au sens du RGPD et que le salarié a le droit d’accéder à non seulement aux métadonnées (horodatage, destinataires) mais aussi aux contenus de ces courriels.
La seule limite posée par la Cour de cassation est celle de l’atteinte éventuelle à d’autres droits protégés. L’employeur ne pourra ainsi refuser de communiquer des courriels que s’ils « sont de nature à porter atteinte aux droits et libertés d’autrui ». On peut toutefois s’interroger sur l’étendue de cette limite dans la mesure où le salarié a d’ores et déjà eu connaissance du contenu des courriels qu’il réclame puisqu’il a en été soit l’auteur, soit le destinataire. Cette limite ne semble donc concerner que l’hypothèse où certains courriels contiendraient des données couvertes par un secret qu’il s’agit de ne pas diffuser davantage (secret de fabrication, secret des affaires…etc.).
En tout état de cause, le refus illégitime de l’employeur de fournir ces données constitue un manquement à ses obligations, ce qui l’expose au paiement de dommages et intérêts au profit du salarié.
Cette décision renforce ainsi les droits des salariés et les employeurs ne semblent plus pouvoir aujourd’hui se cacher derrière une désactivation des accès professionnels, décidée opportunément au moment du licenciement, pour priver les salariés du contenu de leur messagerie professionnelle et des preuves qu’y pourraient s’y trouver.